Nous terminons notre série d’articles sur l’agriculture durable en Côte d’ivoire par un diagnostic succinct de l’agriculture ivoirienne sur la base du concept d’agriculture durable défini par la FAO. Ensuite, nous en dégagerons quelques perspectives pour la mise en œuvre effective de ce concept en Côte d’Ivoire.
Il est important, pour une meilleure conclusion de cette série d’articles sur le concept d’agriculture durable, de résumer les deux précédents articles :
· Enjeux Agriculture durable vs Enjeux Certification agricole
Les enjeux de l’Agriculture durable sont globaux et orientés en direction de tous les acteurs impliqués dans le développement du secteur de l’agriculture, avec pour finalités une conservation des terres, des eaux et leur transmission sans danger pour l’environnement, par l’utilisation de méthodes et moyens techniquement bien adaptés, économiquement viables et socialement acceptables aux générations futures. Par contre, les enjeux des normes de certification ou programmes de durabilité développés par des ONG et des industriels ou transformateurs, bien que reprenant à leur compte des principes de l’Agriculture durable ont pour finalités de modifier les habitudes, les pratiques agricoles et commerciales des producteurs et des autres acteurs des chaines de valeurs pour les rendre conformes à des normes qui correspondent aux attentes des consommateurs occidentaux en terme de traçabilité des produits fabriqués, de pratiques sociales et culturales saines, de protection de l’environnement. La conformité à ces normes est matérialisée par la délivrance d’un label ou certificat, qui donne droit à la perception d’une prime qui varie selon le label ou le certificat obtenu.
· Sociétés coopératives, Traitants, Exportateurs et Transformateurs agréés de la filière cacao: Quelle certification agricole leur correspond le mieux?
La filière cacao est la filière pionnière en matière d’implémentation des normes de certification et des programmes de durabilité au sein de l’agriculture ivoirienne. Il est bon de noter que c’est probablement durant la campagne 2004/2005 que nous avons assisté pour la première fois à la mise en œuvre des normes de certification en matière d’agriculture durable avec la certification Commerce Équitable (FLO) de la Coopérative KAVOKIVA de Daloa. Au fil des ans, de nouvelles normes de certification ont été créées tandis que celles qui existaient ont évolué pour répondre aux attentes croissantes des consommateurs occidentaux. On note l’existence d’une corrélation (en termes de correspondance idéale) entre les labels délivrés, les normes ou critères élaborés par les organismes de certification et chaque catégorie d’acteurs. Ainsi, selon notre analyse, les certifications UTZ / RA correspondent le mieux aux industriels, exportateurs et traitants (moins contraignantes) ; tandis que les certifications Commerce équitable (FLO) et Agriculture biologique (BIO) répondent mieux aux besoins des producteurs et de leurs organisations (plus rentables et meilleurs contrôles des certificats).
Les perspectives d’une agriculture ivoirienne « durable »
La Côte d’ivoire c’est l’agriculture et cela quel que soit l’angle sous lequel on se place (dixit M. Abdoulaye SAWADOGO, Ministre de l’Agriculture 1968-1977). L’agriculture a de tout temps occupé une place prédominante dans l’économie ivoirienne. Dès l’accession à l’indépendance de la Côte d’Ivoire, sous l’impulsion du premier Président de la République, Félix Houphouët Boigny, l’agriculture bénéficiera de plusieurs mesures d’incitation et plans de développement pour la rendre plus compétitive par rapport à tous les autres secteurs (tertiaires). Ce qui va favoriser un développement spectaculaire de plusieurs cultures dont les cultures de rente (qui fournissent d’importantes ressources financières au budget de l’état) et les cultures vivrières (sensées assurer la sécurité alimentaire des populations). L’économie ivoirienne connaîtra un véritable essor qui sera freiné par la chute des cours mondiaux des principales matières premières et la détérioration des termes de l’échange.
Aujourd’hui, l’agriculture continue d’être l’une des principales sources d’apport en ressources financières au budget de l’état quoique les conditions de vie des principaux acteurs que sont les producteurs se dégradent au fil des ans. Et cela, sans possibilité réelle de bénéficier de subventions capables d’améliorer leur bien-être ou d’autres sources de revenus distinctes de celles issues de la vente de leurs récoltes. Ainsi donc, l’agriculture ivoirienne ne parvient plus à satisfaire les besoins de ceux qui en sont le principal socle (les producteurs). Si nous partons de ce constat et considérant la définition faite de l’agriculture durable par la FAO «…conserver les terres, les eaux et le patrimoine zoogénétique et phytogénétique et utiliser des moyens sans danger pour l’environnement, techniquement bien adaptés, économiquement viables et socialement acceptables », l’agriculture ivoirienne qui ne parvient plus à nourrir « ses hommes » ne remplit pas les critères d’une agriculture durable prescrits par la FAO.
Les deux programmes d’investissements agricoles (PNIA 1 & 2) initiés successivement depuis 2012 par le gouvernement n’ont pas encore produit de résultats satisfaisants pour qualifier l’agriculture ivoirienne de résiliente ou de « durable ». Des solutions pertinentes à des questions beaucoup plus existentielles devraient être apportées en vue de dégager des perspectives pour une agriculture ivoirienne résiliente, « durable ». Ces questions sont les suivantes :
ü Justice et équité fiscale : Comment améliorer le système d’imposition des taxes et droits sur les exportations de matières premières agricoles de manière à réduire leur impact sur les prix bord champ payés aux producteurs ?
ü Système de commercialisation : Comment réduire les intermédiaires sur les chaines de valeurs de commercialisation des produits agricoles de manière à rapprocher les producteurs des usines de transformation ;
ü Genre : Comment favoriser l’accès des femmes aux terres, à la formation et à l’apprentissage pour en faire des leaders dans les communautés rurales ?
ü Minorité : Comment éradiquer le phénomène d’exploitation des enfants ?
ü Reconnaissance sociale : Quel statut professionnel pour les producteurs reconnaissant leurs efforts qui ont bâti cette Côte d’ivoire moderne ?
ü Protection de l’environnement : Quelle politique mettre en place pour mieux organiser le secteur des produits phytosanitaires et réduire considérablement les coûts des intrants agricoles ? Comment inciter à mieux valoriser les déchets inorganiques issues des exploitations agricoles et agroindustrielles ?
Tableau d’analyse Conformité des principales filières agricoles aux 05 principes de la FAO
Les principes de l’agriculture durable | Filière café /cacao | Filière coton / anacarde | Filière hévéa / palmier à huile | Filière Riz | Filière vivrier |
Principe 1 : Améliorer l’efficience de l’utilisation des ressources; |
Conforme | Conforme | Conforme | Conforme | Conforme |
Principe 2 Des actions directes pour conserver, protéger et mettre en valeur les ressources naturelles |
Conforme | Conforme | Conforme | Conforme | Conforme |
Principe 3 : Réussir à protéger les moyens d’existence ruraux, et à améliorer l’équité et le bien-être social |
Non conforme | Non conforme | Non conforme | Conforme | Non conforme |
Principe 4 : Renforcer la résilience des populations, communautés et écosystèmes, en particulier en matière de changement climatique et de volatilité du marché |
Non conforme | Non conforme | Non conforme | Non conforme | Non conforme |
Principe 5 : Une bonne gouvernance pour garantir la durabilité des systèmes tant naturels qu’humains |
Non conforme | Non conforme | Non conforme | Non conforme | Non conforme |
Commentaire général | Des actions à mener pour arriver à une filière durable | Des actions à mener pour arriver à une filière durable | Des actions à mener pour arriver à une filière durable | Des actions à mener pour arriver à une filière durable | Des actions à mener pour arriver à une filière durable |
Steve D.