Un de mes ainés, aujourd’hui consultant senior pour des programmes de développement dans le secteur agricole, m’avait dit un jour au cours d’une de nos discussions sur le poids des sociétés coopératives agricoles dans les filières café-cacao ivoiriennes, que ces dernières étaient de puissants instruments de développement économique et sociale des zones rurales en Côte d’Ivoire. Je n’étais pas entièrement d’accord avec lui. Je considérais plutôt les négociants et traitants locaux de matières premières agricoles comme étant plus crédibles ; et avec des modes de fonctionnement moins complexes, plus transparents que les sociétés coopératives agricoles pour assurer une meilleure traçabilité des actions sociales mises en œuvre au bénéfice des producteurs et des communautés des zones rurales.
Aujourd’hui, plus d’une quinzaine d’années après cette discussion, le constat est que l’influence des sociétés coopératives agricoles s’est fortement réduite tandis que celle des négociants ou traitants locaux s’est considérablement renforcée sur toutes les chaînes de valeurs des principales filières agricoles (toutes cultures confondues) !
La majorité des sociétés coopératives agricoles sont devenues entièrement dépendantes des négociants ou traitants locaux et étrangers auprès desquels elles bénéficient de financements à des coûts quasi-inexistants. Aussi, il est reconnu que les conditions de travail, le bien-être et les revenus des producteurs se sont fortement détériorés au fil des années.
Il nous est apparu en cela opportun de faire cette brève analyse sur les défis et les enjeux des sociétés coopératives agricoles en Côte d’Ivoire, en vue de leur émergence dans un contexte économique mondial difficile ponctué de crises et d’inflations.
À notre analyse, le premier défi auquel doivent faire face les sociétés coopératives agricoles aujourd’hui est celui d’être aussi compétitives que les sociétés de négoce de matières premières agricoles, en améliorant significativement leur mode de gouvernance et de gestion. Cela reviendrait pour elles à se conformer aux valeurs fondamentales de Responsabilité personnelle et mutuelle, de Démocratie (une personne = une voix en Assemblée générale), d’Equité et de Solidarité entre les membres associés. Valeurs sur lesquelles sont fondées les principes coopératifs universels qui guident le fonctionnement de toute société coopérative. Ce qui nécessitera plus rigueur dans la gestion, de transparence, de justice et d’équité dans la gouvernance et l’organisation des activités; et une plus grande implication des membres dans les prises de décisions pour atteindre l’enjeu principal qu’est la réalisation du bien-être collectif.
Le second défi sera de se fixer des objectifs stratégiques clairement définis, acceptés de tous les membres ; et une vision à moyen et long terme qui correspondent à l’enjeu principal de réalisation du bien-être collectif. Ce qui demandera à une société coopérative agricole de base, en termes de définition d’objectifs stratégiques d’étendre ses zones d’activités à d’autres régions et d’autres spéculations, ou de se regrouper avec d’autres sociétés coopératives agricoles de petite ou moyenne tailles en unions et fédérations ; de passer de la production – commercialisation pour le marché local à aux trois étapes de production – commercialisation – transformation pour le marché local et pour l’exportation, en se rapprochant de plus en plus des transformateurs et des consommateurs finaux des matières premières agricoles brutes ou transformées.
Le troisième défi est celui du financement. Les sociétés coopératives agricoles doivent se donner les moyens de disposer des ressources nécessaires (acquérir du personnel de qualité, des actifs mobiliers et immobiliers au nom de la société coopérative agricole, documentation de stratégie, de publicité et de marketing, etc.) pour attirer et convaincre les éventuels partenaires financiers qui s’intéressent de plus en plus à leurs activités. L’enjeu ici est double : assurer une pérennité des activités des sociétés coopératives agricoles et créer de la valeur ajoutée de manière durable.
Le quatrième défi est celui de la Responsabilité Sociale et Environnementale (RSE) des sociétés coopératives agricoles. Très peu de sociétés coopératives agricoles disposent d’un service ou d’une politique RSE. Elles sont pour certaines d’entre elles obligées de souscrire à des programmes de certifications en agriculture durable sollicitées ou financées par les partenaires commerciaux, industriels et négociants de matières premières agricoles. La mise en place d’un service ou d’une politique RSE devrait permettre à ces dernières d’améliorer leur compréhension et leur impact sur les questions sociales et environnementales. L’enjeu est ici de garantir durablement le bien-être social et environnemental des personnels, des partenaires et des communautés au sein desquelles les sociétés coopératives agricoles exercent leurs activités.
Le cinquième et dernier défi que nous avons identifié est celui de la prise en compte (valorisation) des outils et solutions numériques par les sociétés coopératives agricoles. Cela pourra améliorer les conditions de travail des producteurs, les former et les informer, valoriser les modèles ou les innovations en termes de bonnes pratiques culturales, réduire les risques et les charges financières dans la gestion de leurs activités.
Les défis que nous avons mentionnés ci-dessus ne sont pas exhaustifs. Il est évident qu’il existe d’autres défis plus spécifiques à chacune des filières agricoles auxquelles les sociétés coopératives agricoles doivent faire face. Nous nous excusons de ne pouvoir les énumérer ici.
En guise de conclusion, nous pouvons affirmer que notre brève analyse nous a permis d’identifier cinq défis majeurs : compétitivité, définition d’objectifs stratégiques et d’une vision à moyen et long terme, financement des activités par les institutions financières, RSE, prise en compte des outils et solutions TIC ; et trois enjeux majeurs : le bien-être collectif des membres, la pérennisation des activités et la création de valeurs, garantir le bien-être social et environnemental de tous les intervenants dans les activités des sociétés coopératives agricoles.
Il est impératif pour relever ces défis et atteindre ces enjeux que les pouvoirs publics définissent des mécanismes, des politiques favorables à l’émergence de sociétés coopératives agricoles fortes capables de contribuer efficacement à l’amélioration des conditions de vie et des revenus des producteurs agricoles ; et à la réduction de la pauvreté des communautés des zones rurales.
Steve D.