Nous débuterons notre série d’articles sur le concept d’Agriculture Durable en Côte d’ivoire par une brève analyse des enjeux de l’agriculture durable et de ceux de la certification agricole.
Il importe pour commencer de définir les notions d’Agriculture durable et de Certification / Labellisation agricole, pour mieux en préciser les enjeux dans le contexte de l’agriculture ivoirienne.
Comment définir l'Agriculture durable?
L’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO, 1988) définit l’Agriculture durable en ces termes: « Aménager et conserver les ressources naturelles et orienter les changements technologiques de manière à satisfaire les besoins des générations actuelles et futures. Dans le secteur de l’agriculture, il s’agit de conserver les terres, les eaux et le patrimoine zoogénétique et phytogénétique et d’utiliser des moyens sans danger pour l’environnement, techniquement bien adaptés, économiquement viables et socialement acceptables ». Selon la FAO, l’agriculture durable devrait correspondre au respect des cinq principes suivants:
- Principe 1: Améliorer l'efficience de l'utilisation des ressources est une condition cruciale de la durabilité de l'agriculture ;
- Principe 2: La durabilité exige des actions directes pour conserver, protéger et mettre en valeur les ressources naturelles ;
- Principe 3: Une agriculture qui ne réussit pas à protéger les moyens d’existence ruraux, et à améliorer l’équité et le bien-être social n’est pas une agriculture durable ;
- Principe 4: L’agriculture durable doit renforcer la résilience des populations, communautés et écosystèmes, en particulier en matière de changement climatique et de volatilité du marché ;
- Principe 5: Une bonne gouvernance est essentielle pour garantir la durabilité des systèmes tant naturels qu'humains.
Comment définir la Certification agricole ?
Selon le dictionnaire en ligne Wikipédia, la certification peut être définie comme une procédure destinée à faire valider par un organisme indépendant que nous appellerons organisme de certification, le respect d’un cahier des charges (normes de certification) d'une organisation tierce par une entreprise. C'est un processus d'évaluation de la conformité (ou contrôle des points de conformité) qui aboutit à l'assurance écrite qu'un produit, une organisation ou une personne répond à certaines exigences.
Dans le secteur de l’agriculture, il existe différents types de normes de certification mettant l’accent sur les exigences environnementales, économiques ou sociales. Les trois principales normes de certification les plus répandues dans le secteur agricole ivoirien sont les suivantes:
- Certification Rain Forest Alliance (RA) / UTZ: fusion des deux normes de certification depuis Janvier 2018, met principalement l’accent sur l’impact environnemental des méthodes de culture, la protection des sols, le bien-être des communautés et l’amélioration des conditions de travail.
- Commerce Equitable (Fairtrade Labelling Organizations International - FLO) met principalement l’accent sur un meilleur accès au marché et de meilleures conditions de commercialisation pour les petits producteurs, l’amélioration des conditions de travail, de vie sociale et l’environnement des communautés.
- Certification Biologique (BIO): met principalement l'accent sur les pratiques culturales biologiques, minimisant ou excluant l'usage de tout produit agrochimique ou de ressources non renouvelables.
La labellisation est quant à elle une étape de la procédure de certification. Elle est l’étape finale ou définitive de vérification de la conformité d’une entreprise à une norme de certification. Un label de certification est décerné à l’entité certifiée par le vérificateur. Le label est une marque ou un symbole qui indique que la conformité d’une entreprise à une norme de certification a été vérifiée. Il est un outil de communication au sein de la chaine de valeur entre vendeur et acheteur (consommateur final).
Enjeux Agriculture durable vs Enjeux Certification agricole en Côte d'ivoire
Les enjeux de l’agriculture durable en Côte d’ivoire sont bien plus importants que ceux des certifications agricoles qui ne concernent pour le moment que les principales cultures de rente: cacao, café, anacarde, coton, huile de palme. Là où l’agriculture durable concerne toutes les cultures agricoles et implique une participation active des pouvoirs publics, des entreprises privées et des producteurs. Elle requiert un changement ou modification des principes et règles étatiques dans le secteur, des comportements et des pratiques habituelles afin de garantir la transmission d’un héritage (des terres) à la génération future qui soit socialement, économiquement viable et qui respecte l’environnement.
Les enjeux des normes de certification et des programmes dits de « durabilité » développés par des ONG et des multinationales sont multiples, et ont pour principal objectif de satisfaire à des exigences de plusieurs catégories de consommateurs occidentaux. Entre autres enjeux, nous pouvons citer: garantir la transparence, la crédibilité et la fiabilité de la procédure de certification ; le respect des normes de certification par les détenteurs des certificats ou labels pendant la période de validité ; la traçabilité des produits et le paiement des primes de certifications aux producteurs conformément aux stipulations de la norme de certification. L’un des enjeux majeurs de la certification agricole, selon nous, serait d’amener les producteurs et leurs organisations à s’approprier les exigences des normes de certification dont les avantages sont bien plus importants que les primes de certification octroyées actuellement. Ceci, par une plus grande et meilleure sensibilisation de toutes les organisations et non pas seulement celles qui souscrivent à leurs normes ; ainsi que la réduction des coûts de certification pour les rendre accessibles à de très petites organisations de producteurs. Il s’agit in fine de faire basculer l’intérêt pour le respect des exigences des normes de certification du côté des industriels et des négociants (qui y voient plutôt des opportunités de marchés et d’accroissement de leurs marges bénéficiaires) vers les producteurs et leurs organisations qui devraient logiquement en tirer le plus grand bénéfice.
Nous ne saurions mieux conclure cet article sans relater une anecdote que nous a confié le Directeur d'une modeste coopérative de Zagné (TaÏ, ouest ivoirien) au cours d'une de nos séances de sensibilisation sur les normes de l'agriculture durable. Il nous a raconté ceci: «Une organisation de l’ONU (PAM) devait procéder à une distribution de vivres à des populations de Taï qui avaient été très affectées par la crise dans cette partie du pays. Mais le convoi de vivres a été bloqué au niveau de la localité de Zagné à cause du piteux état de la route. Les responsables du convoi ont sollicité les habitants des deux villages environnants pour réparer ce tronçon de la route contre la promesse d’un sac de riz par ouvrier. Les villageois, nombreux, ont réparé la route et ont obtenu chacun le sac de riz promis. Le convoi a pu donc se rendre à Taï pour distribuer les vivres aux populations sinistrées et est ensuite retourné sur Abidjan. Les habitants des deux villages ont consommé les sacs de riz avec beaucoup de plaisir jusqu’au dernier grain. Mais en réalité, ils ont bénéficié de bien plus que de sacs de riz. Ils ont bénéficié d’une route réhabilité qui est un véritable outil de développement pour leur région. La prime de certification représente le sac de riz remis aux villageois (producteurs) pour avoir réhabilité la route (vergers agricoles) ; et la route réhabilité représente la conformité aux exigences des normes de certification qui conduit à un développement agricole harmonieux et durable.».
Que restera-t-il de la certification agricole lorsque «l’appât »que constitue la prime de certification n’existera plus (pour diverses raisons: crise économique, baisse du pouvoir d’achats des consommateurs occidentaux, désastres environnementaux, etc.) ? La vulgarisation des exigences des normes de certification qui correspondent pour la plupart aux principes de l’agriculture durable telle que définie par la FAO, devrait se poursuivre auprès de tous les producteurs et de leurs organisations.
Steve D.