Premier produit agricole d’exportation de la Côte d’Ivoire, le cacao demeure une source de revenus et de recettes considérables pour l’économie du pays. Sa production, sa commercialisation, sa transformation et sa consommation assurent le bien-être de milliers de familles à travers le monde entier. Les enjeux autour du développement de la filière cacao ivoirienne sont très importants pour l’économie cacaoyère mondiale et pour les milliers de producteurs qui en tirent l’essentiel de leurs revenus de subsistance.
L’amélioration des revenus, des conditions de vie et de travail principalement des producteurs de cacao et des autres acteurs de la chaine de valeurs constitue un des enjeux majeurs pour lequel les solutions mises en œuvre n’ont pas encore obtenu les résultats espérés. Les différents systèmes de commercialisation adoptés par l’Etat ivoirien ont parfois réussi et souvent failli à relever cet enjeu.
« Libéralisation » et « Stabilisation » des prix sont les deux principaux systèmes de commercialisation couramment adoptés par les pays producteurs de cacao dont la Côte d’Ivoire pour gérer les filières café-cacao. Le constat aujourd’hui (au regard de l’actualité de la filière cacao), est l’échec de ces systèmes qui ne parviennent pas à garantir un revenu minimum décent aux producteurs sur plusieurs campagnes. Ainsi, il nous est venu à l’esprit cette réflexion, objet de cet article : « Ne serait-on pas finalement en train de tourner en rond ? Stabilisation … Libéralisation ? Et si les solutions pour garantir de meilleurs revenus et des conditions de vie décentes aux producteurs de cacao étaient ailleurs… »
Il est clair que le développement de la filière cacao ne pourra pas se faire sans garantir de meilleures conditions de vie et de travail aux producteurs, et une politique de prix très attractifs capable d’encourager les producteurs à investir dans leurs exploitations agricoles. Les industriels du cacao et les fabricants de chocolats en sont aujourd’hui tous conscients qui mettent presque tous l’accent sur la mise en œuvre de programmes de certification ou de « durabilité » visant à améliorer les conditions de travail et de vie des producteurs, ainsi que des sociétés coopératives et des acheteurs, collecteurs et fournisseurs de fèves de cacao aux usines et entrepôt des broyeurs et négociants agréés.
Ces programmes de certification ou de « durabilité » ne peuvent pas à elles seules garantir de meilleurs revenus aux producteurs d’autant plus qu’elles n’impliquent qu’une très infime partie de cette population et ne concernent que près du tiers de la production nationale. Des réflexions ou analyses plus accentuées devraient être menées sur des points ou facteurs stratégiques importants pour mieux aborder la problématique de l’amélioration des revenus des producteurs et y répondre de manière plus efficace et durable.
Nous insisterons dans le cadre de cette contribution sur les trois (03) points stratégiques suivants :
- Le positionnement de la Côte d’Ivoire et des autres pays africains producteurs de cacao sur le marché international du cacao (influence sur les fondamentaux du marché international) : La position de premier producteur et principal fournisseur de fèves de cacao à l’industrie de transformation mondiale de cacao avec des prix aux producteurs relativement très bas par rapport aux prix des produits finis, faisant ainsi des producteurs ivoiriens et au-delà des producteurs africains de cacao une main d’œuvre bon marché pour l’économie cacaoyère mondiale, ne permet pas aux pays producteurs africains d’influencer les cours boursiers du cacao sur les marchés à terme de Londres et New York ; et donc ils subissent les conséquences de la fluctuation des cours boursiers. Ainsi, pour améliorer leur positionnement, la Côte d’Ivoire et les autres pays africains producteurs de cacao devraient renforcer leur politique de transformation et encourager la consommation locale des produits finis à base de cacao. (Certains diront : « Ce n’est pas possible ou c’est un vœu pieux ! » Mais, les industries européenne, américaine et aujourd’hui asiatique de transformation de cacao et de fabrication de chocolats et confiseries ne se sont pas construites en cinq ans, voire dix ans. Il leur a fallu bien plus qu’une décennie, une vision, des objectifs, une volonté et des sacrifices !).
- Des systèmes de commercialisation (Stabilisation vs Libéralisation) : Ces deux systèmes sont des héritages de la période coloniale, où colonies françaises (Côte d’Ivoire) et protectorats britanniques (Ghana) se disputaient le leadership de la culture et du commerce des produits agricoles tropicaux dont le cacao, sous l’impulsion de flux migratoires de mains d’œuvres quasiment gratuites (composée essentiellement de populations de l’ex Haute-Volta), d’une industrie cacaoyère européenne embryonnaire en plein essor avec une demande croissante de matières premières agricoles à des cours mondiaux intéressants. Il faut distinguer trois principales étapes, groupe d’activités ou de métiers dans la chaine de valeur du cacao : la production (producteurs et leurs organisations), la commercialisation (négociants) et la transformation (broyeurs, chocolatiers, confiseurs, fabricants de produits cosmétiques et pharmaceutiques). Des réflexions devraient être menées sur les rôles et le nombre des fonctions/métiers entourant ces trois principaux groupes d’activités afin d’élaborer et de mettre en œuvre un nouveau système de commercialisation mieux adapté aux réalités locales, à la vision et aux objectifs de développement durable de la filière cacao.
- Des défis et limites des organismes internationaux privés de certifications agricoles : Il faut reconnaître aux organismes de certifications internationales privés qu’elles ont réussi à relever le défi de l’amélioration des revenus, des conditions de vie et de travail des producteurs et des autres acteurs de la chaine de valeurs du cacao ivoirien membres de leurs réseaux. Ces améliorations ont été obtenues grâce à la mise en œuvre de normes, standards en agriculture durable ; et aux versements de primes incitatives sensées récompenser les efforts consentis par ces membres. Les retombées sont nombreuses ; et elles ont fortement contribué au développement de l’économie cacaoyère. Il reste néanmoins d’autres défis importants qui pourraient être la vulgarisation de ces normes, standards en agriculture durable, leur adoption par la majorité des producteurs ; de parvenir à cet idéal du respect de ces normes environnementales, sociales et économiques par une majorité des acteurs sans attendre en retour le versement d’une prime. Les organismes internationaux privés de certifications agricoles sont limités à ce stade. Elles devraient à ce stade pouvoir bénéficier d’un appui renforcé des pouvoirs publics et des collectivités territoriales locales. Ceci à travers l’élaboration et la mise en œuvre d’un cadre juridique et fiscal plus strict, de mesures adaptées pour inciter tous les acteurs du monde agricole au respect de ces normes en agriculture durable qui garantisse un bien-être collectif. Il faut pour la réussite de la mise en œuvre de telles mesures une meilleure identification des principaux acteurs de la chaine de valeurs du cacao ; une meilleure définition des rôles des acteurs par groupe de métiers ; le suivi, la contractualisation (émission de contrats standards de commercialisation locale garantis par l’autorité de régulation) et la traçabilité de toutes les opérations de production, de commercialisation et de transformation ; une vision et des objectifs de développement durable de la filière cacao clairement définis à court, moyen et long terme qui impliquent tous les acteurs.
Nous ne saurions conclure cette contribution sans faire quelques recommandations ou suggestions qui pourraient, selon notre compréhension des enjeux de la filière cacao, contribuer à plus de transparence, de justice et d’équité dans la filière cacao. Ces quelques suggestions que nous exposons ci-dessous, peuvent faire l’objet de réflexions plus approfondies et doivent être accompagnées d’autres suggestions, propositions de mesures et d’actions appropriées avec comme objectif principal la mise en place d’un système de commercialisation efficace pouvant garantir une répartition plus équitable des revenus au sein de la filière cacao.
Nos suggestions sont les suivantes :
- Au niveau de la commercialisation extérieure (exportations) de fèves brutes : au regard des difficultés rencontrés dans la mise en œuvre de la politique des enchères ou contrats de déblocages au cours de ces dernières campagnes, nous suggérons que l’autorité de régulation devrait songer à la mise en place d’un cadre pour l’accompagnement à l’exportation de certains acteurs tels que les sociétés coopératives et les exportateurs locaux de petite taille qui aspirent à intégrer le marché de l’exportation. Ce cadre pourrait inclure la formation ou le renforcement des capacités sur différentes thématiques telles que la politique des enchères, le fonctionnement des marchés boursier des commodités, des marchés financiers, le commerce international en collaboration avec des partenaires institutionnels.
- Au niveau de la commercialisation domestique : au regard du non-respect des prix garantis aux producteurs dénoncés dans certaines zones de production, nous suggérons que l’autorité de régulation devrait créer en son sein une structure ou un département avec comme mission principale de garantir la bonne fin des transactions locales de fèves de cacao en termes de qualité et d’approvisionnements en réduisant les risques commerciaux (défaillance, détournements des préfinancements et mauvaise qualité des fèves au niveau bord-champ). Une telle organisation pourrait se rapprocher du « Cocoa Marketing Company (CMC) » du voisin et allier ghanéen. Ce qui va conduire l’autorité de régulation à : lever des financements sur les marchés financiers pour assurer les préfinancements de campagne ; réorganiser les opérations de pré-collecte et de collecte en redéfinissant les rôles et attributions des pré-collecteurs (délégués, rabatteurs et pisteurs) et des collecteurs actuels (coopératives de base et traitants) ; assurer une meilleure organisation et un suivi permanent des opérations logistiques de terrain (emmagasinages, entreposages, transferts) et une meilleure traçabilité des flux physiques et financiers entre pré-collecteurs et collecteurs.
- Au niveau des attributions des volumes de fèves certifiées : au regard de l’insuffisance de la demande par rapport à l’offre globale de fèves certifiées et de l’opacité voire de nombreuses inégalités dénoncées dans les attributions de volumes de fèves certifiées entre collecteurs et exportateurs certifiés, nous suggérons un leadership plus avancé de l’autorité de régulation pour assurer plus de transparence dans l’exécution des programmes de certifications en agriculture durable, à travers la définition de critères locaux préalables (une sorte de norme locale qui pourrait inclure par exemple d’exiger à tout exportateur ou collecteur désirant souscrire à un programme de certification, de disposer d’un service RSE avec une vision et des objectifs ESG explicites, un plan de formation continu FDFP, etc.), le suivi pour veiller à la transparence, la justice et l’équité dans les attributions des volumes de fèves certifiées demandés par le marché.
Steve D.